Photographe: Arsène MPIANA

Curatrice: Rosario MAZUELA

Textes: Enri KALAMA AKULEZ, Jürg SCHNEIDER, Jean-Damascène BWIZA KINAMULA, Jean KAMBA, Baudouin BIKOKO

Sténographie: Jackson TSHISEKEDI, Prisca TANKWE y, Melissa KAZADI

Lieu: Académie de Beaux Arts. Kinshasa. Republique Démocratique du Congo

12 – 27 Octobre 2024

« Parcours de l’eau » vous emmène dans un voyage indissolublement lié à la personne du photographe et à sa biographie, retraçant par ses images son parcours artistique.

La vie en République démocratique du Congo est profondément imbriquée dans les mythes, les traditions et la lutte constante pour l’identité dans un monde en perpétuelle évolution. Les pêcheurs Banunu, qui vivent depuis des générations le long du fleuve Congo, portent en eux l’héritage d’une connaissance spirituelle transmise par leurs ancêtres. L’un des mythes centraux tourne autour du crocodile Enkoko, auquel on attribue des pouvoirs surnaturels. Pour les Banunu et les Libinza apparentés, les crocodiles ne sont pas seulement des animaux, mais des symboles spirituels qui veillent à la protection et à la clarté. Ces légendes, qui justifiaient autrefois la chasse aux crocodiles et faisaient de ces animaux des biens commerciaux très recherchés, ne sont plus que des souvenirs. Le commerce de la peau de crocodile a été interdit pour protéger les animaux, et les pêcheurs doivent maintenant faire face à un monde où la surpêche et le changement climatique menacent leurs moyens de subsistance.

Le fleuve Congo, autrefois une artère vitale qui apportait nourriture et prospérité, est aussi un endroit dangereux et imprévisible. Lors du voyage sur le bateau « Miracle de Dieu », qui parcourt le puissant fleuve de Kinshasa à Lukolela, les photographies de la série Calvaire reflètent l’insécurité qui caractérise la vie des gens. Les passagers, serrés entre des montagnes de marchandises, espèrent une traversée sûre, mais les tempêtes tropicales et les pannes techniques font du voyage une aventure risquée. Les histoires racontées ici sont marquées par la perte, la survie et la lutte contre la nature et les circonstances qui rendent la vie sur le fleuve si dangereuse.

Cette insécurité se prolonge à terre, notamment dans la capitale Kinshasa. La série Epela montre la réalité d’une ville en proie aux conséquences d’une urbanisation incontrôlée et d’un système d’évacuation des eaux usées en mauvais état. Les inondations dévastatrices de 2022, qui ont coûté d’innombrables vies, illustrent la vulnérabilité des habitants de la ville. Au milieu de cette catastrophe, la caméra capture des moments à la fois empreints de tristesse et de beauté inattendue – des corps mouillés dans l’obscurité, la lumière chatoyante sur les rues inondées, une lutte constante pour la survie.

La série de photos Passport aborde la question de l’identité et de la visibilité. Couverts de masques, les portraits ne montrent pas de visages, seulement des enveloppes vides qui symbolisent la protection et la dissimulation. Ces masques, qui ont une profonde signification spirituelle dans de nombreuses cultures, représentent ici la tentative de se soustraire à la réalité – que ce soit par honte, par peur ou par nécessité. Les photographies sont comme des pièces de mosaïque d’une plus grande machinerie urbaine invisible, dans laquelle les travailleurs qui maintiennent la vie urbaine sont rarement reconnus. Les masques qu’ils portent rappellent à quel point il est facile de disparaître dans l’anonymat du monde moderne, alors que leur travail permet à la ville de continuer à fonctionner.

Les images Déconnexion perpétuelle font ressortir encore plus clairement l’étroitesse de la frontière entre tradition et modernité. Le photographe lui-même, dont l’histoire familiale est étroitement liée au totem mystique du crocodile, se pose la question de sa propre identité. Dans un monde où la vie moderne est souvent en contradiction avec les racines spirituelles et culturelles, il essaie de jeter un pont entre ces deux mondes. Inspiré par les histoires de ses ancêtres et par sa propre expérience avec le totem du crocodile, il explore la relation entre le mythe, la spiritualité et la réalité. Une expérience marquante a été le moment où, enfant, il a failli se noyer et a été sauvé de l’eau par une force invisible. Plus tard, il a appris que le crocodile était le totem spirituel de sa famille – un lien qui traverse les générations et qui caractérise sa création artistique. La photographie est son moyen de rendre ces liens visibles. A travers des images d’archives qu’il collecte et recrée, il essaie de raconter l’histoire de sa famille et de sa propre identité. Ces images sont les témoins d’un passé qu’il n’a pas vécu lui-même, mais à travers lequel il se connecte à ses origines et aux traditions spirituelles de sa famille. Ainsi, la photographie devient un média qui brise la frontière entre le temps et l’espace et raconte des histoires à la fois personnelles et collectives.

Les cinq parties qui composent ces histoires sont l’expression d’un profond attachement à sa propre culture et, en même temps, de la nécessité de faire face aux défis du présent. Dans les mythes, les voyages, les inondations et les masques, on voit la dualité de la vie en République démocratique du Congo – un pays marqué par son histoire et ses traditions, mais qui doit en même temps faire face aux changements constants de la modernité. Cette tension donne naissance à une culture qui se reflète dans les images, les histoires et les mythes et qui pose sans cesse la question de l’identité et de l’appartenance.

Juerg Schneider

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